Projet Eisler - Brecht
Miroirs Étendus héberge la collaboration au long cours entre Romain Louveau, directeur musical de la compagnie, et Marie Soubestre, soprano, doctorante au CNSMDP - Université Paris IV Sorbonne, vers une intégrale du compositeur Hanns Eisler et du dramaturge Bertolt Brecht
Vers une intégrale éclatée
La collaboration entre Hanns Eisler et Bertolt Brecht commence dès 1929 (Eisler et Brecht ont alors tous les deux 21 ans) pour durer jusqu'à la mort du dramaturge en 1956. C'est l'une des plus longues et belles collaborations entre un musicien et un poète. Le projet d'enregistrer l'intégrale de ces 113 lieder s'annonce donc comme un voyage au long cours pour le duo Marie Soubestre et Romain Louveau.
C'est une œuvre intégralement politique, débutée sous la République de Weimar, poursuivie en exil aux États-Unis dès 1937, et achevée en République Démocratique Allemande. Cela explique peut-être sa réception en sourdine en France. Elle est accompagnée chez les deux exilés d'une immense production d'écrits théoriques et de propositions importantes : la "distanciation" chez Brecht, les essais sur la musique de cinéma qu'Eisler publie avec Adorno, cinq ans avant de composer la musique du film d'Alain Resnais, Nuit et brouillard.
Eisler était l'un des élèves les plus importants de Schönberg, bien que leur comportement politique les différencie radicalement. Comme son travail oscille entre expérimentation dodécaphonique et lieder de style beaucoup plus populaire, Eisler pose incessamment le problème d'un "art de masse", de ses "potentialités esthétiques (…) dans une société libre", mais son "caractère idéologique dans la société actuelle".
Si ces lieder veulent donc provoquer un choc sensible, avancer avec une étrangeté qui résiste à toute signification, ils ne veulent pas non plus renoncer à transmettre un sens politique lisible : on y décèle alors une liaison toujours présente, mais très libre, entre ces deux programmes. En allemand la distanciation se dit Verfremdung. Il faut y lire l'étrangeté (fremd) d'un monde où les hommes apprennent à devenir à eux-mêmes étrangers. Mais l'œuvre qui la suit, on la souhaiterait pour tous, épousant ce qui il y a de plus évident à chanter, à jouer, à reproduire, dans la langue de cette société d'aujourd'hui, mais pour une communauté à venir, toute ouïe, en toute liberté, se faisant dans l'écoute même, capable de comprendre sans obéir. Musique de combats, mais aussi en combat contre elle-même ; traversée par son temps et sa critique, mais hors temps, rêvée pour d'autres devenirs.
Il n'y a aucun sens à fabriquer le musée de Brecht et d'Eisler, de mettre en vitrine leur message politique retrouvé. "L'art n'est pas à même de transformer en œuvres d'art des idées de quelque bureau. C'est seulement les bottes qu'on peut fabriquer sur mesure." note Brecht en 1952.
Pour suivre Brecht et Eisler on propose de constituer cette intégrale par toutes les associations possibles, en différentes formations, avec à chaque fois l'exigence de rendre accessible, par la vidéo, les mots autant que les sons.
Par son programme esthétique et politique, il ne saurait être question que de musique, dans cet engagement qui ne veut rien d'autre, pour le dire avec Peter Brook, que "faire voir à nouveau".
"Chantera-t-on encore
Au temps des ténèbres ?
Oui, on chantera
Le chant des ténèbres."
Brecht, Poèmes de Svendborg, 1939
Archives
13-17 JAN 2020
Enregistrement d'un disque de mélodie de Eisler et d'une commande à la compositrice Graciane Finzi, au CNSMDP en partenariat avec la Fondation Meyer (sortie printemps 2021).
14 FEV 2019
Concert et intervention aux Journées d'Études Doctorales au CNSMDP
NOV 2019
Interventions dans le cadre de la classe théâtre d'Emmanuelle Cordoliani au CNSMDP aux côtés Kornelia Repschläger
21-23 NOV. 2018
Réalisation d'un court-métrage avec le réalisateur Ilias El Faris
23 MAI - 3 JUIN 2018
Récital au Festival La Brèche
Programme de médiation au collège Côte Rousse
2 DEC. 2017
SCENE NATIONALE D'ORLÉANS
Récital autour du groupe le Tricollectif pour l'anniversaire de la Révolution Russe
Scène Nationale d'Orléans
21 MAR. 2017 et 11 AVR. 2017
Masterclasses au Festival La Brèche avec les étudiants des départements chant et accompagnement piano
5 AVR. 2017
Récital au Festival La Brèche
5 MAR. 2017
Récital au Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme, à Paris
23 NOV. 2016
Enregistrement d'une maquette filmée par le réalisateur Ilias El Faris
5 AOU. 2016
Récital au Festival et Rencontres de Musique de Chambre du Larzac
JUIN 2014
Récital “Ne chante plus ces vieux refrains” / La Grange aux Dîmes, Carrière sur scène ; Espace Maurice Fleuret, CNSMDP ; ”Chez Claude”, Meuse
MAI 2014
1914-1918 : Résonances musicales / Lille, Maison natale de Charles de Gaulle (oeuvres datant de la Grande Guerre, mises en résonance avec la perception que Brecht, Eisler, mais aussi Aragon et Tucholsky)
Enregistrements
Récital au Festival de musique de chambre du Larzac
2017
EISLER / BRECHT Hollywood Elegien
EISLER / BRECHT Zwei Kinderlieder
avec Sara Wolstenholme, violon
Recherche et communications
PALMSTRÖM DE HANNS EISLER : LA PARODIE COMME HOMMAGE CRITIQUE
MAI 2019 Publication dans le septième numéro de la revue du CNSMDP "Sources - Traditions - Inspirations"
En 1924, Schoenberg commande à son élève Hanns Eisler une œuvre pour compléter un concert où il donne le Pierrot lunaire. Hanns Eisler écrit Palmström, sur des textes de Christian Morgenstern. C’est une parodie de l’œuvre de Schoenberg, dont le troisième numéro s’appelle, non sans ironie, « l’art pour l’art ». La rupture esthétique et politique qui séparera Eisler de son maître est déjà en germe dans cette œuvre de jeunesse, où l’on décèle son rapport au texte et à la prosodie, son humour et son rapport à la tradition. Palmström est le premier jalon d’une affirmation esthétique très singulière, à la croisée du politique et du sensible.
UN ALLEMAND À HOLLYWOOD : LES HÖLDERLIN-FRAGMENTE DE HANNS EISLER
MAI. 2019 IIème Congrès doctoral international de musique et musicologie 22-24 mai 2019
Ce cycle semble singulier dans l’œuvre de Hanns Eisler – mais n’est-elle pas faite que de pièces qui semblent toutes bien singulières ? Composé à Hollywood en 1943 alors que Hanns Eisler, juif et communiste, est en exil depuis 1933, et alors que la guerre et la solution finale battent leur plain, le choix d’un auteur nationaliste allemand peut interroger. Il a d’ailleurs donné lieu à une discussion animée entre Eisler et son ami Bertolt Brecht. Il s’agissait pour Hanns Eisler de revendiquer une autre Allemagne que celle du nazisme tout en s’inscrivant dans l’héritage de la musique allemande. Le cinquième numéro, An eine Stadt, est d’ailleurs dédié à Franz Schubert.Ce cycle, sur lequel Hanns Eisler s’est beaucoup exprimé, permet d’aborder plusieurs problématiques que l’on retrouve dans toute son œuvre : le rapport au politique – ici à travers la question du patriotisme ; le rapport à l’émotion – ici essentiellement dans le rapport au souvenir ; enfin la question beaucoup technique, mais tout aussi importante, de l’usage du montage et de la citation.
Exprimer des sentiments sans sombrer dans la sentimentalité, transmettre du sens sans avoir recours aux moyens des fascistes, créer ou transmettre une émotion avec objectivité : tels sont les contraintes éthiques que se fixe Hanns Eisler. Les textes de Hölderlin, qui nous éloignent de la problématique du message à transmettre, ou du prolétariat à éclairer, permettent d’aborder sous un autre jour le rapport au sens et à la forme de Hanns Eisler. On retrouve beaucoup de ses outils habituels, et notamment le caractère de « pot-pourri » des pièces, pour reprendre le terme utilisé par Adorno dans son commentaire de Schubert. Tonalité et atonalités s’y côtoient, mélodies « jazzy » cèdent sans transition à des séries de 12 notes, références schubertiennes succèdent à des passages presque parlando. On retrouve aussi les carrures bancales et les fins abruptes qui sont presque la signature de Eisler.
Alors que Hölderlin nous semble bien loin de Brecht, les Hölderlin-Fragment nous permettent d’entrevoir le devenir musical de la distanciation brechtienne – le Verfremdungseffekt.
HANNS EISLER : DE LA RÉPUBLIQUE DE WEIMAR À L’EXIL
FEV. 2019, CNSMDP, journées d’études doctorales
« En étudiant la partition, la forte impression que ces pièces m’avait faite s’est même renforcée », dira Anton Webern à propos des Zeitungausschnitte de Hanns Eisler.Avec les Zeitungausschnitte, ce n’est pas une rupture formelle que Eisler opère à l’égard de son maître Arnold Schoenberg, encore qu’il renonce à un dodécaphonisme rigoureux. La rupture tient au choix des textes : en utilisant des extraits de journaux, Eisler s’empare explicitement de problématiques sociales et politiques. Ce sont des sujets qu’il prend « tout à fait au sérieux », comme il le dira trente ans plus tard, bien qu’il les traite déjà avec humour et distance. Mais peut-être est-ce au fond la seule manière d’être véritablement sérieux ?
Ces extraits de journaux seront mis en regard avec des pièces ultérieures, écrites sur des textes de Brecht. Certaines sont parfaitement tonales, d’autres pas. Car la question formelle était pour Eisler subordonnée à celle du sens et du contexte. Il prônait un compositeur-artisan, détenteurs d’outils – dont le dodécaphonisme – dont il peut changer selon le choix des textes, le public ou les interprètes à qui sont destinées les pièces. Mais l’esprit de Eisler, présent dès les Zeitungausschnitte se décèle dans toute son œuvre, qu’elle soit tonale ou non.
DISTANCIATION BRECHTIENNE, ÉLÉMENTS D'UNE DÉFINITION
JAN. 2019, CNSMDP, Journées d’études doctorales
La musique gestuelle dont se réclame Hanns Eisler, tout comme le théâtre épique de Brecht, dont elle est le pendant musical, ont pour clef de voûte la distance ou « effet de distanciation ». Or ce Verfremdungseffekt est trop souvent résumé à un acte intellectuel de mise à distance de l’émotion.
Il s’agira, à travers une bibliographie partielle qui est celle d’un travail en cours, d’établir une première définition de cette distanciation brechtienne, ou plutôt d’établir les cadres théoriques qui permettent sa problématisation. Grâce notamment à Walter Benjamin ou Jacques Rancière – qui pourtant invalide radicalement le projet brechtien – nous essaierons d’articuler les notions de distance et d’emancipation.LA DIGNITÉ DE DÉSIRER D'AUTRES VIES
NOV. 2017
(Romain Louveau et Marie Soubestre)
Culture et Recherche n°136, automne-hiver 2017. 96 pages
Dossier coordonné par Stéphanie CHAILLOU, Chantal CRESTE, Jérôme DUPIN, Jean-Pierre ESTIVAL, Pascale LABORIE, Philippe LE MOAL, Isabelle MANCI, Sylvie PEBRIER, Annabel POINCHEVAL et Jean-Michel TREGUER (inspectrices et inspecteurs de la création), et Thomas JACQUES LE SEIGNEUR.